Primark : la révolution du modèle du prêt-à-porter

Primark ouvrira son sixième magasin français à Lille en mai 2015. L’occasion pour revenir sur l’ascension de la marque irlandaise qui comptabilise plus de 50 millions de ventes annuelles. Avec 295 magasins dans toute l’Europe, l’euphorie explose au Royaume-Uni, où 1 vêtement sur 10 est acheté chez Primark. À 10euros le jean comment l’enseigne de l’Associated British Foods arrive-t’elle à réaliser plus 6 milliards de livres sterling de revenu par an? Une nouvelle manière de consommer – et de produire – est né

Un magasin Primark à Dresden, Allemagne.
Un magasin Primark à Dresden, Allemagne.

« Amazing fashion, amazing prices«  – qui n’a jamais entendu l’emblématique slogan du nouveau leader de la mode : Primark? Pour permettre à ses fidèles acheteurs de continuer à se procurer des habits à la mode, et à bas prix, le géant irlandais a implanté 700 usines en Asie et en Europe de l’Est. Leur stratégie? Effectuer des commandes en grande quantités, ce qui permet d’optimiser le revenu et de limiter les pertes : plus la commande est importante, moins elle est proportionnellement chère. Pas de modèles divers et variés pour un vêtement. Pour chaque habit : un, ou deux patrons. De cette manière, les machines sont toutes semblables : encore ici, le mot d’ordre est économie.

Graphique réalisé pour l'étude : évolution de l'intérêt pour les recherches entre "Primark" et "H&M" ou "Zara" sur Google Shopping, de 2008 à aujourd'hui
Graphique réalisé pour l’étude : évolution de l’intérêt pour les recherches entre « Primark » et « H&M » ou « Zara » sur Google Shopping, de 2008 à aujourd’hui

Pourtant, malgré des coupes et des matières peu variées, de nouveaux modèles (couleurs, imprimés) sont proposés systématiquement. 12 collections par an sont proposées par Primark, soit 2 à 3 fois plus que leurs concurrents (ex : H&M, Zara) qui n’en proposent que 6. Et qui, non seulement proposent moins de collections, mais calculent une marge de profit de 18% (toujours pour H&M et Zara). Primark n’a lui que 12% de marge de profit, mais vend nettement plus.

Jusqu'à présent, la référence prix en France était H&M, positionné juste en dessous (4%) de la moyenne du marché. Primark bouleverse l'équilibre en se positionnant bien 37% plus bas que la moyenne.(http://primarktpe1es.blogspot.fr)
Jusqu’à présent, la référence prix en France était H&M, positionné juste en dessous (4%) de la moyenne du marché. Primark bouleverse l’équilibre en se positionnant bien 37% plus bas que la moyenne.(http://primarktpe1es.blogspot.fr)

Inspirées des grandes marques, ces collections ravissent le client qui se fait plaisir plus souvent, à moindre prix. Et ce, toujours dans la tendance. Tout type de public est visé. Et même si un plus large espace est dédié aux femmes; les hommes, enfants et même la maison et les cosmétiques trouvent leur place au milieu des rayons. Des rayons très denses, pour optimiser l’espace. Des économies aussi sur les anti-vols – proportionnellement trop chers par rapport aux prix des articles proposés – et sur les employés. En effet, malgré que Primark emploie 51.250 personnes à travers l’Europe, c’est peu pour des magasins de 5000 m^2 de surface environ.

Source : bouledegomme.blogspot.com
Des rayons très denses pour optimiser les coûts. Aucun antivol. (Source : bouledegomme.blogspot.com)

Pour faire en sorte que la population se sente pleinement représentée, les employés ne doivent pas être d’une seule typologie, mais doivent refléter l’ensemble de la société. De cette manière, un éventail très large de personnes se sentira concerné.

Peu de campagnes de publicité coûteuses, les réseaux sociaux suffisent largement, et permettent aux fans de se sentir impliqués. La firme est présente sur Facebook, Twitter,YoutubePinterest et Instagram. Primark est entré récemment dans le Top 5 des « Social Media Retailers«  (Vente au détail sur les réseaux sociaux) pour avoir comptabilisé plus de 4 millions de likes en un seulement un peu plus d’un an. En effet, les fans – et plus particulièrement les bloggeurs – se font une joie de poster sur la toile leurs emplettes sous le hashtag #PrimarkHaul.

Une sorte de deal donnant-donnant : le bloggeur se retrouve sur la page officielle de Primark, qui lui se fait de la publicité jeune, en vogue, et surtout gratuite.

La stratégie de production de Primark est claire, et se résume en une phrase : économies, tout en gardant une bonne qualité, et un lien fort avec ses clients.

Ce lien fort que Primark a noué avec sa clientèle, c’est grâce aussi à une image soigneusement entretenue, et non seulement sur le plan de la mode. À en croire le site de la marque, leur implication humanitaire est exemplaire. Primark dénonce le travail des enfants, et entreprend des oeuvres caritatives notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé des femmes. Leurs multiples collaborations avec des organismes humanitaires sont mises en avant, et ils se sont engagés à verser des indemnités à vies aux victimes de l’effondrement du bâtiment Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh, en avril 2013.

Le Rana Plaza, à Dhaka. (Source : The Guardian)
Le Rana Plaza, à Dacca; Bangladesh. (Source : The Guardian)

Cet incident a coûté la vie à plus d’un millier d’ouvriers qui travaillaient dans les usines qu’abritait le bâtiment, dont une fabriquait des vêtements pour Primark.

Ce qui aurait dû être un coup dur pour l’image de la marque, a pourtant été vite contourné : le géant irlandais s’est porté garant de l’indemnité des victimes en premier, surpassant toutes les autres marques qui avaient des usines aux Rana Plaza. Depuis, la marque s’engage à des magasins « verts ».

"Nos sachets sont fabriqué 100% à partir de cartons recyclés, en provenance de nos magasins" - c'est ce que l'on peut lire sur le site de Primark, rubrique Éthique.
« Nos sachets sont fabriqué 100% à partir de cartons recyclés, en provenance de nos magasins » – c’est ce que l’on peut lire sur le site de Primark, rubrique Éthique.

Car le plan environnemental est aussi mis à l’honneur : utilisation du bio, encouragement à l’utilisation du coton, avec leur participation au projet Cotton Connect, et sachets recyclés : Primark se met au vert. En décembre 2013, Primark s’engage à « cesser toute commande de produits contenant de l’angora suite aux inquiétudes exprimées au sujet du bien-être animal et de l’utilisation d’angora dans les vêtements. » Malgré cette façade humanitaire et écologique soigneusement entretenue, Primark a été le centre de plusieurs polémiques dans le passé.

En 2008, une révélation de The Observer révèle que Primark a suspendu la collaboration avec trois de ses fournisseurs indiens après que la BBC ait annoncé sur son programme Panorama, qu’ils avaient les preuves que des enfants travaillaient dans ces usines. Lors de l’enquête, la BBC avait découvert que des enfants issus de camps réfugiés au sud de l’Inde, travaillaient d’arrache pied pour un moindre salaire pour confectionner les vêtements que nous voyons dans les vitrines de Primark.

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Des enfants indiens issus d’un camp de réfugiés cousent des motifs sur un t-shirt distribué dans les magasins Primark. (2008, BBC ©)

La marque a suspendu toute collaboration avec ces fournisseurs avant même d’avoir pu être visée par la mauvaise publicité qu’aurait inévitablement engendré le documentaire de la BBC (il sera par la suite retiré, et la BBC forcée à présenter ses excuses, ndla). La firme, qui appartient à l’Associated British Foods, a déclaré qu' »aussitôt alertés par les pratiques de travail d’enfant par les rapports de la BBC et de The Observer, ils ont immédiatement annulé toutes les nouvelles commandes passées aux fournisseurs concernés, et retirés des milliers de pièces de leurs magasins. »

Plus récemment, en juin 2014, des mystérieux appels à l’aide ont été retrouvés dans des vêtements Primark. Deux clientes de la marque irlandaise ont cru à des appels à l’aide d’ouvriers exploités, lorsqu’elles ont découvert des message de détresse cousus dans leurs vêtements où l’on pouvait lire : « Forcé à travailler des horaires épuisants ». Quelques temps après, une autre cliente s’est manifestée et a signalé avoir trouvé dans un un haut acheté dans le même magasin : « Conditions dégradantes main-d’œuvre exploitée ». L’information a vite été relayée sur les réseaux sociaux avec au hashtag #labelgate (« crise de l’étiquette »). Rapidement, toute la Grande-Bretagne était au courant.

Primark a parlé de « canular » et a lancé une enquête pour déterminer l’origine de ces messages, et surtout pour découvrir comment ils se sont retrouvés cousus dans des vêtements. Malgré l’enquête, la firme était convaincue qu’il s’agissait d’un canular et publie un communiqué sur son site : « Notre enquête (…) nous a menés à la conclusion qu’il est plus probable qu’il s’agisse d’un canular réalisé au Royaume-Uni », les étiquettes proviennent « clairement »de la même source, mais il est « impossible d’imaginer » qu’elles aient été cousues dans l’usine où ont été confectionnés les vêtements, étant donné que l’un a été fabriqué en Inde et l’autre en Roumanie.

Un troisième cas similaire est survenu. Une cliente assure avoir trouvé dans la poche d’un pantalon, acheté en Irlande du Nord en 2011, où figure le signal « SOS ! », suivi d’un court texte rédigé en chinois, qui enveloppait une carte d’identité de prison. Selon Amnesty International, qui a traduit le message, il s’agit là d’un « appel à l’aide de la communauté internationale pour condamner le gouvernement chinois pour violation des droits des prisonniers. »

Rien à voir, donc, avec Primark. Pourtant, le journal britannique The Guardian estime que « canulars ou pas, le contenu du message moins vrai. » Des incidents desquels Primark est toujours ressorti indemne, de part sa rapidité de réponse et de réaction.

Dans une moindre mesure, une autre polémique a agité le règne de Primark en l’accusant en 2012 de s’être un peu trop inspirés des modèles de celui qui était alors le chouchou de la fashion week de New-York : Prabal Gurung. Ou plutôt, lui avoir rendu « un hommage un peu trop important » au créateur. D’autres incidents de la sorte sont survenus en 2005, où Monsoon et H&M ont poursuivi Primark pour avoir « copié leurs modèles ».

À gauche, le modèle de Prabal Gurung. À droite, un modèle Primark. (source : http://www.i-heart-fashion.co.uk/2012/04/primarks-assault-on-catwalk.html)
À gauche, le modèle de Prabal Gurung. À droite, un modèle Primark. (source : http://www.i-heart-fashion.co.uk/2012/04/primarks-assault-on-catwalk.html)

Primark joue donc sur une production rapide, et peu chère. Un modèle de magasins denses et avec des employés efficaces sont requis, et aucune campagne publicitaire sur les magazines, ou dans les médias. Les réseaux sociaux leurs suffisent largement, et leur permet de surcroît d’impliquer leurs fans. Une image méticuleusement soignée est de mise, jouant sur des principes éthiques, avec preuves à l’appui. Après avoir fait face à plusieurs polémiques et accusations dans le passé, Primark jouit désormais de l’image que veut transmettre la marque : Amazing fashion, amazing prices.

FPH

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